Mobilité interne : les usages stratégiques des bourses de l’emploi

Dans l’imaginaire des gestionnaires RH, les dispositifs de gestion des talents et autres détections des potentiels font souvent partie du panel des outils de toute Direction des ressources humaines stratégique digne de ce nom. A contrario, les dispositifs de bourse de l’emploi manifesteraient un sous-optimum et une incapacité des DRH à contribuer à la stratégie de l’organisation.

L’étude de deux cas de développement de la bourse de l’emploi va à l’encontre de ces deux idées reçues. Les marchés internes de l’emploi peuvent en effet être déployés en vue de remplir les objectifs stratégiques de l’organisation. Pourquoi faire compliqué quand on peut aller au plus simple ?

La bourse de l’emploi comme réponse à la crise : la « main invisible du gestionnaire »

La première organisation est une filiale d’un grand groupe bancaire spécialisée dans des activités de back-office. Elle déploie un process de mobilité interne reposant sur une logique de bourse de l’emploi, mettant fin à une logique exclusive de recrutement externe.

En septembre 2008, la crise financière frappe de plein fouet les banques. La réponse de la Direction est avant tout financière : optimisation des recettes en questionnant la rentabilité des prestations par client et optimisation des coûts en restructurant les unités de production. La DRH a la charge de contribuer à cette optimisation des coûts. La démarche initiée fut la suivante :

–         Gel des créations de poste, non-renouvellement des contrats précaires et des prestataires ;

–         Mise en place d’un process de contrôle et validation des recrutements ;

–         Développement du reporting et des outils de maîtrise des effectifs et de la masse salariale ;

–         Réallocation des ressources suite à la restructuration des unités de production.

Le déploiement d’un process de mobilité interne via la mise en place de la  bourse de l’emploi, va permettre la réduction de ces coûts et de répondre à ce dernier objectif de réallocation des ressources, sans avoir recours à un plan social dispendieux ou à des licenciements économiques obérant la cohésion sociale au sein de l’entreprise.

La bourse de l’emploi a l’avantage de reposer sur la libre volonté des collaborateurs et de ne pas imposer une réallocation des ressources à pas forcés. Un marché interne bien régulé permet également de palier l’absence d’outils du type référentiel des emplois et des compétences ou passerelles de mobilité.

Cependant, le marché interne ne signifie pas « garbage can ». Au contraire, la mise en place d’un marché de l’emploi est un véritable challenge pour les DRH qui font ainsi voir « la main invisible du gestionnaire ». Promouvoir et mettre en œuvre un marché de l’emploi a nécessité un ensemble de transformations :

–         Conversion des chargés de recrutement en « Gestionnaires de carrières » ;

–         Inauguration d’un rapprochement entre RH opérationnels et ligne managériale ;

–         Développement du service formation ;

–         Ediction de règles auprès des collaborateurs et des managers afin d’assurer la régulation du marché ;

–         Plaidoyer auprès des managers réticents à libérer leurs ressources et auprès des managers suspicieux quant à la qualité des profils proposés.

Enoncée de cette manière à retranscrire les différentes séquences allant de l’objectif stratégique business à la mise en place des outils RH, la mise en œuvre des process et des outils prend alors son sens. La mobilité interne a cependant d’autres usages stratégiques.

La bourse de l’emploi pour stimuler l’engagement des collaborateurs

La seconde organisation est une multinationale nord-américaine dans le secteur de l’industrie présente dans une cinquantaine de pays. A partir des années 1980, sa forte croissance externe la conduit en Europe. Au milieu des années 2000, elle s’implante en France suite au rachat d’un autre groupe multinational. Chaque nouvelle implantation amène sa cohorte d’expatriés chargés de mettre en œuvre le modèle organisationnel conçu par le siège. Outre-Atlantique, la Direction des ressources humaines élabore un ensemble de process et d’outils qui s’imposent ensuite partout dans le monde.

Ainsi, fin 2009, le groupe conduit dans le monde entier une « enquête d’engagement », afin de mesurer l’investissement des salariés dans le groupe.

Pour la France, les enseignements du baromètre social font ressortir un découragement des collaborateurs quant aux manques d’opportunités au sein de l’entreprise. L’une des principales pistes d’action est de relancer la dynamique de mobilité interne en remettant à plat la bourse de l’emploi. Contrairement à notre premier cas, l’intention stratégique n’est pas la réallocation des ressources par le jeu du marché. Ici, l’objectif est de d’encourager l’engagement des salariés et de susciter la motivation des collaborateurs en informant les collaborateurs sur les opportunités de développement professionnel. En synthèse la démarche fut la suivante :

–         Volonté du siège de développer l’engagement des salariés afin de stimuler la productivité des collaborateurs ;

–         Conduite d’un baromètre social depuis le siège auprès de l’ensemble des pays ;

–         Constat d’une démotivation en raison du manque d’opportunités en interne ;

–         Conception et élaboration de plans d’actions par pays suite aux résultats du baromètre avec pour la France une relance de la Bourse de l’emploi

La bourse de l’emploi n’était pas nouvelle. Un SIRH déployé par le groupe est censé permettre à chaque collaborateur de renseigner son profil, et aux managers de définir leurs besoins. Seulement, la solution technique étant inadaptée, le système n’a jamais fonctionné. Une bourse de l’emploi existait, mais sans process défini. L’entreprise  découpée en régions afin de rapprocher les centres de production des clients à la tête de chaque région un Directeur opérationnel avec un gestionnaire RH rattaché hiérarchiquement à lui, et fonctionnellement à la DRH. Les postes vacants étaient alors directement pourvus par la ligne managériale avec en corolaires, une absence de circulation de l’information et le sentiment naissant chez les salariés d’un système opaque.

Le process RH n’insistait pas suffisamment sur la médiation du gestionnaire RH entre la vacance d’un poste et le pourvoi de ce poste. En conséquence, les informations liées au marché interne ne sont pas diffusées au niveau national.

La démarche de la DRH a donc été la suivante :

–         Définition d’un process qui remette le gestionnaire RH dans la boucle ;

–         Création d’un système d’information élémentaire alternatif au SIRH inutilisé ;

–         Diffusion des règles du jeu auprès des collaborateurs et des managers ;

–         Plaidoyer auprès de la Direction Générale pour implémenter le process auprès des Directeurs opérationnels

L’objectif de la Bourse de l’emploi était ici de proposer plus de transparence, de faire connaître les opportunités afin de susciter à nouveau l’engagement des salariés.

Rendre sa prééminence à la réflexion stratégique

L’étude de ces deux cas montre que les pratiques de type gestion des talents, people review, gestion des carrières ou autres détection des hauts potentiels ne constituent pas à coup sûr des « best practices ». Dans les deux cas étudiés, la position concurrentielle de l’entreprise, la structure organisationnelle et les choix stratégiques de la Direction permettaient aux Direction des ressources humaines de recourir assez simplement à la Bourse de l’emploi et aux mécanismes purs et parfaits du marché. La prééminence de la réflexion stratégique dans la définition des process RH et le choix des outils subséquents reste nécessaire.

Auteur : Valery TAN, Consultant, RH-Management

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