La prise en compte de la rémunération dans l’établissement d’un système de rémunération

L’établissement d’un système de rémunération des dirigeants doit se comprendre au-delà du contexte interne des entreprises. Ces pratiques sont perméables aux valeurs culturelles dominantes de la société où elles s’appliquent.

1. La prise en compte de la dimension culturelle dans l’établissement d’un système de rémunération

Moins abordée dans la littérature universitaire, la dimension culturelle n’en demeure pas moins critique dans l’établissement d’un système de rémunération. En effet, les spécificités culturelles d’une entreprise et plus globalement d’une nation affectent la façon dont les individus abordent leur travail, leur engagement, leur volonté d’atteindre les objectifs, leur confiance en eux….

Comme l’a montré Pennings[1] (1993), la rémunération des dirigeants a une connotation symbolique forte qui varie grandement en fonction des valeurs dominantes de la société en question. Tosi[2] (2004) définit ces valeurs comme étant constitutives de la culture d’un groupe d’individus. Il en identifie 4 familles :

–          Le contrôle de l’incertitude : la société française (et plus globalement l’Europe occidentale) s’inscrit dans une dynamique de prudence depuis plusieurs décennies. Le poids de l’Histoire récente (guerres mondiales, décolonisation, ralentissement économique structurel depuis 3 décennies, perte d’influence sur la scène internationale) a rendu notre société peu à l’aise face à l’avenir et à l’incertitude qu’il représente. Contrairement aux Etats-Unis par exemple, la France est un pays où l’on a tendance à formaliser et mettre en place de nombreuses règles et procédures visant à minimiser les situations à risque. Cette observation fût confirmée par Hofstede[3] (2001) qui a mesuré les indices de contrôle de l’incertitude des divers pays aux cultures très différentes. L’indice d’incertitude français est de 86 alors qu’il n’est que de 35 en Grande Bretagne et 46 aux Etats-Unis. En matière de rémunération des dirigeants, cela peut se traduire par une volonté de contrôler les risques de contre performance des dirigeants. L’objectif est donc d’optimiser la performance à long terme du dirigeant. A ce titre, la rémunération différée est un levier efficace que la culture française, peu à l’aise avec le risque, tendrait à favoriser.

–          le niveau d’individualisme : pour atteindre un objectif, certaines cultures vont naturellement tendre vers une action collective là où d’autres favoriseront une action individuelle. En effet, certaines cultures (anglo-saxonnes notamment) sont plus individualistes. Les besoins, les objectifs, les intérêts y sont plus naturellement traités de façon individuelle. Selon l’étude de Hofstede (2001) l’indice d’individualisme français est 71 alors qu’il atteint 89 pour la Grande Bretagne et 91 pour les Etats-Unis. La conséquence de cette (relativement) faible culture individualiste sur la rémunération des dirigeants français est la moindre importance de la part variable sur le montant total de rémunération.

–          la verticalité du pouvoir (ou distance hiérarchique) : il s’agit là du niveau d’acceptation des différences de statuts et de pouvoir au sein d’une même organisation. Comme l’illustre l’étude de Laurent[4] (1986), les français ont un rapport rigide à la hiérarchie. Les statuts sont relativement figés et marquent profondément la nature des rapports humains. Selon l’étude de Hofstede (2001), l’indice de distance hiérarchique de la France s’élève à 69 là où celui des Etats-Unis est de 40 et celui de l’Allemagne est de 35. De ce rapport au pouvoir débouche des organisations pyramidales où les niveaux hiérarchiques sont plus nombreux. Comme le montra Simon[5] (1957), cela traduit une volonté d’établir et de maintenir une distance hiérarchique respectable. En matière de rémunération des dirigeants, cela se traduit par une rémunération globalement plus élevée des dirigeants (marque de supériorité hiérarchique)

–          la dimension masculinité/féminité : il s’agit là d’analyser les valeurs dites caractéristiques des stéréotypes masculins (domination, agressivité…) et féminins (empathie, ouverture d’esprit, compassion…). Plus la société est masculine, plus elle se concentrera sur la performance, la motivation au détriment de notion lié au bien être et à la qualité de vie au travail. Pour caricatural que ce soit, cette analyse permet de dire que le montant total de rémunération d’un dirigeant tendra à être plus élevé dans un pays ‘‘masculin’’. A ce titre, Hofstede (2001) a mesuré l’indice de masculinité de la France à 43, ce qui est à peu près dans la moyenne (l’indice italien est de 70 mais l’indice suédois est de 5). En somme, cette dimension culturelle n’influe pas de façon décisive la rémunération des dirigeants français.

Auteur : Valentin de Turckheim, Consultant, RH-Management


[1] Pennings JM (1993). Executive Rewards Systems : a cross national comparison. Journal of Management Studies, vol. 30, n°2, p. 261-280

[2] Tosi H (2004). CEO charisma, compensation, and firm performance. The Leadership Quarterly 15(3): 405–420.

[3] Hofstede [2001] Culture’s Consequences: comparing values, behaviors, institutions and organizations across nations, Sage Publications, Thousand Oaks, CA

[4] Laurent A. [1986] The cross-cultural puzzle of international human resource management, Human Resource Management, 25, 91-102.

[5] Simon, Herbert (1957).A Behavioral Model of Rational Choice, in Models of Man, Social and Rational: Mathematical Essays on Rational Human Behavior in a Social Setting. New York: Wiley

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