Vers une Direction des Ressources transHumaines ?

Qu’adviendra-t-il des relations humaines dans un monde en réseau ? L’intelligence artificielle va-t-elle détruire le travail, ou le libérer ? Quels sont les enjeux éthiques du Big Data ? Comment les DRH vont pouvoir accompagner ces transformations ?

Laurent Alexandre, fondateur de DOCTISSIMO et de DNAVision, spécialiste du transhumanisme, Alexandre Lacroix, directeur de la rédaction de PHILOSOPHIE MAGAZINE, auteur de « Ce qui nous relie »,et Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, membre de l’observatoire de l’Ubérisation de la Société, ont débattu sur ces questions lors du Congrès HR’ du 6 octobre 2016.

L’intelligence artificielle va redéfinir les business model

Les Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives (NBIC) représentent un champ scientifique qui va profondément modifier l’écosystème économique. Les plate-formistes de la Silicon Valley (Microsoft, Google, …) ont investi depuis plusieurs années dans les NBIC et sont en train de former un oligopole.

Ce mouvement est en train de générer un transfert massif de la valeur des entreprises traditionnelles vers ces derniers. A titre d’exemple, WhatsApp a été vendu 19 milliards de dollars à Facebook au bout de 5 ans d’existence et en employant 55 salariés alors que PSA est valorisé à 6 milliards de dollars au bout de 100 ans et en employant 200 000 salariés.

Notre système économique européen est aujourd’hui essentiellement organisé de manière verticale (1 seul secteur d’activités) et constitué par ces entreprises traditionnelles. Si elles ne veulent pas être totalement dévalorisées demain, elles vont devoir s’adapter très rapidement à l’horizontalisation imposée par les plate-formistes, qui se diversifient, voire s’éloignent complètement de leur core business (Google avec l’aérospatial).

L’intelligence artificielle a fait naître un mouvement intellectuel et culturel

Cette mutation technologique va au-delà de la mutation business. La Silicon Valley est muée d’une volonté transhumaniste où deux courants de pensée émergent : le libertarisme et le singulitarisme.

  • Le libertarisme vise à faire reculer l’influence de l’état dans l’économie et la société. Il n’y a plus aucune règle, de notion de l’ordre public. L’individu peut faire tout ce qu’il veut tant qu’il ne nuit pas aux autres. Cela implique une notion de start-up de soi-même. Chaque individu se gère comme une petite entreprise en valorisant ses « biens » et son image de marque.
  • Le singulitarisme considère qu’une singularité technologique se produira dans les prochaines décennies. Une entité artificielle bien plus intelligente que le cerveau humain verra le jour et créera, dès lors, à la place de l’homme. Ainsi, nombre d’emplois seront alors remplacés par des robots. Ce courant de pensée envisage donc l’hybridation « homme / machine » comme un chemin possible. Souhaitons-nous demain avoir une puce implantée dans le cerveau pour augmenter nos capacités intellectuelles ?

 

Des premiers signes dans notre société

L’ubérisation impose aux individus de se comporter comme des start-ups individuelles dont il faut gérer l’image de marque (bonnes évaluations des clients) et de fonctionner en réseau pour avoir de la valeur. La rupture du contrat ne se matérialise plus par un licenciement, mais par une série de mauvaises évaluations. En ce sens, l’ubérisation illustre bien ce mouvement transhumaniste qui est en route : contournement du contrat de travail et du droit du travail (pas de règle, uniquement une transaction), possibilité de rompre le contrat dès que les intérêts divergent.

D’autres exemples comme le reverse mentoring ou la robotisation témoignent d’une évolution beaucoup plus profonde de notre société. Depuis l’existence de la vie animale sur la Terre, le transfert des connaissances s’est toujours effectué des membres les plus âgés d’un groupe vers les plus jeunes. En demandant aux jeunes talents de former les dirigeants sur les pratiques et usages de la transformation digitale, l’ordre établi est ainsi remis en cause. Quel sera donc le rôle de nos ainés dans notre société de demain ? Quel sera le rôle de l’homme lorsque des métiers tels que les chauffeurs-routiers ou les maçons auront été remplacés par les robots ? Et si l’homme de demain devenait le nouveau « sexe faible » (clivage entre les compétences techniques et les soft skills)

Plus globalement, le remplacement croissant de nombreux métiers par des robots laisse présager qu’il n’y aura pas du travail pour tous. Notre société devra donc envisager une redistribution sociale de la richesse.

Et le rôle des DRH ?

Les DRH vont avoir un rôle clé dans l’évolution des business models de notre société. Nous sommes aujourd’hui dans la phase « Lune de miel ». Jusqu’à présent, les entreprises ont pu valoriser des emplois peu qualifiés en positionnant les collaborateurs en contrôleur des robots. Mais, l’évolution vertigineuse du Deep Learning (x100 chaque année) laisse présager que l’intelligence artificielle dépassera l’intelligence humaine. Cela impactera donc aussi bien des métiers nécessitant peu de formation que des métiers de formation pointue, comme les radiologues par exemple.

Les DRH vont devoir accompagner les entreprises dans les mutations technologiques en passant d’une gestion prévisionnelle des emplois et compétences à une gestion prévisionnelle des technologies et des métiers. Elles devront notamment développer les soft skills au sein des entreprises (humanité, empathie, philosophie, transversalité, compréhension du monde, …) puisque les compétences techniques seront largement assurées par les robots.

De profondes mutations en matière de ressources humaines sont donc pressenties : de nouveaux besoins de compétences, des individus en passage dans l’entreprise, un fonctionnement en réseau … Les DRH vont avoir un rôle clé pour accompagner les entreprises et les individus et trouver la complémentarité entre les individus et les robots pour que personne ne reste sur le bord de la route.

Afin de devenir un strategic partner des entreprises demain, elles doivent, dès aujourd’hui :

  • Acquérir des compétences technologiques pour mieux appréhender et accompagner les transformations à venir
  • Faire de la prospective technologique afin d’anticiper les métiers de demain
  • Anticiper les évolutions futures de leurs processus, principalement en matière de recrutement et de GPEC (assouplissement des règles et processus afin de permettre à l’entreprise d’être plus agile)
  • Développer des compétences en matière d’éthique afin de définir les droits des individus et des robots.

 

Auteur : Agnès DOISY

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