Agent public libéré(e)

La Chaire Innovation publique ENSCI / ENA / Polytechnique / Sciences Po et le Liberté Living-Lab proposent de réfléchir aux « frictions de l’innovation publique ». La quatrième séance s’est tenue jeudi 11 juillet sur le thème de « L’agent public libéré ».

Dans un monde en profonde mutation, les organisations publiques sont amenées à se réinventer en mettant en place des nouvelles façons de travailler (les NWOW). Ces démarches de transformation cherchent toutes à libérer les agents des contraintes afin de leur donner plus d’autonomie.

Emilie Agnoux – Directrice de la transformation et du dialogue social de Grand Paris Sud Est Avenir, Leila Boutamine – cheffe de projet transformation managériale à la DITP, Blandine Bréchignac – consultante, Nicolas Fieulaine – Maître de conférences à Lyon 2, spécialiste du nudge, et Patrick Negaret – Directeur de l’Assurance-Maladie des Yvelines nous ont livré quelques-uns des facteurs clés de succès :

S’ouvrir au monde extérieur pour nourrir une vision propre à l’organisation

Pour pouvoir libérer les énergies, tous s’accordent sur la nécessité de s’ouvrir au monde extérieur : conférences, retours d’expérience, inclusion du citoyen dans la réflexion, … Ce regard sur l’extérieur nourrit une vision qui se construit progressivement et qui est propre à chaque organisation.

Capitaliser sur ce qui fonctionne bien

Engager une démarche de libération ne signifie pas tout remettre en question. Il existe des modes de fonctionnement, des modèles d’organisation, des pratiques managériales qui ont fait leur preuve dans toute organisation. Capitaliser sur ceux-ci permet de mieux interroger ce qui ne fonctionne pas.

Avancer progressivement

Que ce soit l’établissement public territorial Grand Paris Sud Est Avenir ou la CPAM des Yvelines, les démarches de libération se sont installées progressivement dans une dynamique de petits pas. Cette dynamique présente un triple intérêt :

  • Pouvoir embarquer progressivement l’ensemble des agents de l’organisation en s’appuyant largement sur la co-construction et la facilitation
  • Permettre l’expérimentation et prendre le risque d’avoir tort
  • Pouvoir être requestionnée régulièrement en étant à l’écoute des attentes et des signaux faibles

Pour en tirer tous les bénéfices, elles doivent s’inscrire dans une perspective à long terme, ce qui est parfois difficile à maintenir dans l’administration.

Exemplarité et actes fondateurs

Les actes fondateurs peuvent marquer symboliquement le nouvel état d’esprit instauré par la démarche de libération, sans avoir nécessairement un grand impact sur l’organisation des équipes au quotidien. P. Negaret l’illustre au sein de la CPAM des Yvelines au sein de laquelle il a rapidement décidé de supprimer la salle de restaurant réservée à la direction.

Ces actes fondateurs, même s’ils ne doivent pas concerner que le management, contribuent à faire évoluer les postures au plus haut niveau de l’organisation en faisant preuve d’exemplarité.

Donner les moyens et être lucide sur la capacité des agents à s’en saisir

La libération des contraintes doit impérativement être effective au risque de devenir un acte de manipulation. Cela peut recouvrir des moyens financiers et/ou humains, mais également un allègement voire une suppression du cadre dans lequel les agents interviennent. Une des difficultés est de placer le curseur au bon niveau entre des règles trop contraignantes pour innover et une absence totale de règles, indispensables à tout collectif pour travailler ensemble.

Toutefois, libérer les contraintes ne veut pas dire que les agents vont se saisir du champ d’autonomie qui leur est offert. Le rôle du manager est primordial. Il doit replacer la confiance au centre de la relation entre un agent et son organisation, accompagner chaque agent à prendre son autonomie en le responsabilisant ou en lui montrant qu’il est capable de trouver des solutions par lui-même. Pour cela, la CPAM des Yvelines a mis en place une démarche de Lean Management visant à apprendre à trouver des solutions par soi-même.

Intégrer la dimension comportementale des individus

Depuis plus de 60 ans, des études ont démontré l’impact positif des sciences comportementales sur l’engagement et la performance. La prise en compte de celles-ci dans l’environnement professionnel a progressé ces dernières années, y compris dans la sphère publique.

Les organisations publiques s’intéressent notamment du plus en plus à la théorie du Nudge ou « coup de coude », développée par Richard Thaler (prix Nobel d’économie 2017). La théorie part du principe que l’homme est influencé par ses biais comportementaux liés à son environnement pour prendre des décisions. Le nudge vise à modifier son environnement pour l’inciter à prendre une autre décision. En matière de conduite du changement, il place, ainsi, l’humain au cœur de la réflexion à travers la compréhension de sa manière de fonctionner et de ses biais cognitifs.

Accompagner le management dans cette transformation

Les démarches de libération s’accompagnent souvent d’une évolution du modèle organisationnel vers un modèle plus horizontal comportant moins de strates hiérarchiques. A titre d’exemple, la CPAM des Yvelines a supprimé 3 niveaux de strates. L’évolution du modèle organisationnel amène à questionner la place du management dans l’organisation. Il n’a plus le monopole des idées et/ou des solutions, il peut même parfois être victime de « management bashing ».

Il reste toutefois essentiel dans l’organisation car il doit accompagner la démarche en développant l’autonomie, l’encapacitation et la responsabilisation des agents. La capacité du management à adopter un nouveau rôle est donc clé pour la réussite de la transformation.

L’établissement public territorial Grand Paris Sud Est Avenir comme la CPAM des Yvelines ont, à ce titre, largement investi dans la formation et l’accompagnement du management afin d’avoir progressivement une équipe de management homogène capable de porter la transformation.

Un leader pour initier, un collectif pour pérenniser

A l’origine de chaque démarche se trouve généralement un leader qui l’initie et la rend légitime auprès de l’ensemble des agents. La pérennisation de la démarche au-delà du leader est critique car elle est conditionnée par une auto-saisine du collectif pour poursuivre la transformation. A titre d’exemple, P. Négaret a structuré son Comité de Direction en deux parties : la première se déroule sans lui et la seconde en sa présence pour les décisions les plus stratégiques. Cela permet de responsabiliser et d’autonomiser le collectif.

En conclusion, il n’existe pas de recette miracle. La démarche de libération est propre à chaque organisation, sa culture, la capacité de chacun de ses membres à changer. Pour en faire un succès, il est indispensable de définir quel est l’objectif, dans quel espace et dans quelle temporalité elle va s’inscrire et surtout d’adapter en permanence la dynamique de groupe.

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