Qualité de vie et dialogue social : le télétravail au cœur des discussions post Covid 19

Le confinement lié à la pandémie du coronavirus a contraint de nombreuses entreprises à expérimenter le télétravail à grande échelle dans un temps record. Vu l’urgence et la gravité de la pandémie ainsi que la nécessité du télétravail pour la continuité de l’activité, un consensus a très souvent été trouvé rapidement entre les partenaires sociaux et les directions RH pour mettre en œuvre ce télétravail massif.

Depuis le 11 mai, avec le début du déconfinement, nous entrons dans une nouvelle phase. Avec le retour progressif – même partiel – en présentiel, il s’agit désormais de savoir si le télétravail expérimenté pendant la crise du coronavirus va transformer la pratique du télétravail à plus long terme. Dans la mesure où il représente pour certains une véritable révolution de l’organisation du travail, il est indispensable d’engager dans les entreprises et en interprofessionnel un véritable dialogue avec les partenaires sociaux pour conduire collectivement un travail de diagnostic et faire évoluer le dispositif sur les volets organisationnel, social et juridique. Dans cet article du blog RH, nous allons voir comment la question de la qualité de vie au travail se retrouve au centre des discussions sociales.


Un cadre légal déjà souple

La législation actuelle sur le télétravail repose principalement sur l’Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail. Elle a reformulé la définition du télétravail d’un point de vue juridique dans la version actuelle du code du travail :

« Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Article L.1222-9 du code du travail

Le législateur a cherché à donner au télétravail un cadre souple qui puisse s’adapter à diverses réalités. Le télétravail peut donc être rendu possible via un accord collectif avec le CSE, ou à défaut dans le cadre de la charte élaborée par l’employeur et publiée après avis du CSE. En l’absence de charte, le télétravail reste possible : dans ce cas, l’accord doit être formalisé entre le salarié et son encadrant par tout moyen de communication. Dans l’esprit de la loi, le télétravail est une flexibilité, une liberté donnée au salarié, et c’est le salarié qui est à l’initiative de la demande de télétravail. Sauf cas de force majeure, l’employeur ne peut pas contraindre son salarié à télétravailler.

 

Adaptation pendant le confinement

 La logique à l’œuvre pendant le confinement a largement évolué. Alors que jusqu’ici, l’Etat laissait les entreprises libres de s’organiser et de mettre en œuvre le télétravail, le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 a imposé le télétravail pour toute activité compatible avec un dispositif à distance. Alors qu’en principe, c’est le refus de télétravail qui doit être motivé, la logique a été renversée : c’est le présentiel pendant le confinement qui devait être justifié par l’entreprise.

Au sein des entreprises, là aussi la logique a été renversée : ce n’est plus le salarié qui est à l’origine du télétravail mais l’entreprise. Si c’est la première fois que ce cas de figure se présente, cependant, l’article L. 1222-11 du code du travail mentionnait déjà le risque épidémique comme pouvant justifier le recours au télétravail. Ainsi, le dispositif législatif avait déjà intégré le risque d’une obligation de télétravail justifiée par la nécessité de la continuité de l’activité. Il n’a donc pas été nécessaire de le revoir pour imposer le télétravail. Il n’est donc pas certain que le confinement révolutionne le paradigme et la pratique du télétravail.

 

Le télétravail, un sujet clivant entre syndicat et patronat au sein même de ces organisations : risques et bienfaits du télétravail sur la qualité de vie au travail

Dans une série d’articles parus sur le blog RH, nous avions imaginé 3 scénarios possibles après le confinement. Le premier scénario représente un retour à la situation pré-confinement. Le deuxième scénario évoque la possibilité de voir le télétravail mal aimé à cause du traumatisme de la pandémie et du confinement imposé. Enfin, le troisième scenario imaginait une révolution du paradigme dans lequel la norme deviendrait le télétravail et non le présentiel.

Un des éléments clefs qui va orienter vers l’un ou l’autre scénario, sera le dialogue social et la position des CSE. Le Blog RH a pu interroger différents acteurs actifs au sein de CSE. Il en ressort pour tous que c’est un sujet très clivant.

  • Certains souhaitent une généralisation du télétravail et ne comprennent pas la norme du présentiel, qu’ils considèrent comme dépassée à l’heure des nouvelles technologies.
  • Pour d’autres, c’est la mort de tout collectif, la déshumanisation du management et l’isolement social.

Il apparait donc clair que ce qui va déterminer la tenue d’un réel dialogue social, c’est la capacité des acteurs à développer une vision commune de la qualité de vie au télétravail.

Pour le moment, voici ce qu’il se dégage des premières réflexions :

Bienfaits du télétravail :

  • Réduction du temps de transport
  • Hausse de la productivité dans les tâches solitaires
  • Gain en autonomie et en responsabilité
  • Plus grande souplesse également dans l’équilibre vie privée, vie professionnelle

Risques du télétravail :

  • Isolement social
  • Perte de convivialité et de relations humaines gratuites, entrainant une deshumanisation du management notamment
  • Difficulté d’exercer le droit à la déconnexion
  • Sédentarité physique mauvaise pour la santé
  • Moindre proximité avec le management et donc moindres perspectives d’évolution

 

L’avenir du télétravail encore à écrire : vers un diagnostic partagé 

Comme le rappelle l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles), le télétravail intégral qui a caractérisé le confinement est un cas très particulier de télétravail. La plupart des dispositifs habituels de télétravail comprennent un mixte entre travail dans les locaux de l’entreprise et travail à distance. C’est ce double fonctionnement qui permet de limiter grandement les risques du télétravail. Il est ainsi possible de profiter du télétravail, tout en le limitant à un jour par semaine.  Il faut avoir bien en tête la diversité des modes d’organisation possibles lorsque l’on évoque le télétravail. Le modèle intégral expérimenté pendant le confinement est à de nombreux égards extrême et rarement souhaitable.

Afin de prendre le recul nécessaire et éclairer les représentants du personnel qui composent les CSE, les partenaires sociaux, représentant le patronat et les syndicats, ont souhaité lancer un diagnostic commun. Ils ont ainsi ouvert le vendredi 5 juin des discussions sur le télétravail qui devraient s’achever fin septembre. Il s’agira donc de comprendre en profondeur comment a été réellement vécu le télétravail, ses impacts sur la qualité de vie au travail, et s’il est nécessaire de revoir les dispositifs législatifs. Là encore, on voit que c’est la qualité de vie au travail, et au télétravail, qui va être au centre des réflexions sur les nouvelles règles à définir pour l’avenir.

 

Ainsi, on voit que c’est toute la vision du travail comme activité sociale qui est interrogée, sans se limiter à sa production économique, mais pour intégrer tout ce qu’il apporte à l’être humain. Voir tous les partenaires sociaux prêts à ouvrir de telles discussions sur le sens du travail est donc déjà en tant que telle une raison d’espérer de belles perspectives d’évolution, peu importe la direction qui sera finalement retenue, et qui dépendra de la manière dont les salariés ont vécu et vivent réellement le télétravail.

——-Jules SIMONINConsultant
Pour en savoir plus, vous pouvez contacter :
Sabrina YOUNSI-YUTHSenior Manager
sabrina.younsiyuth@wavestone.com

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