Les administrations et leurs espaces de travail face au défi de l’ubiquité

La crise sanitaire et économique a agi comme un catalyseur dans de nombreux domaines en mettant la sphère publique, et notamment le secteur de la santé, en première ligne. Elle a notamment eu pour effet de mettre un peu plus à mal les notions d’unité de lieu et du temps du travail. Celui-ci ne se pense plus à l’aune d’un lieu physique ou d’horaires fixes mais davantage en rapport à la nature des activités à exercer. En devenant un bien transportable partout et consommable à n’importe quel moment, il impose aux administrations de repenser le rôle conféré aux espaces de travail.

 

De l’intérêt d’un renouveau des aménagements des espaces de travail

Comparé au secteur privé, les administrations sont globalement moins enclines à réinterroger l’aménagement de leurs espaces de bureau pour répondre à des usages différents du travail.

On remarque toutefois que les problématiques de qualité de vie au travail, d’attractivité de la fonction publique, de bien-être des collaborateurs et d’adaptation aux nouveaux modes de travail, poussent depuis déjà quelques années certaines administrations à se frotter à la question des espaces de travail. On peut à ce titre souligner le succès du Conseil régional d’Ile-de-France [1] qui, avec la libération des espaces de travail lors du déménagement de son siège à Saint-Ouen, a provoqué un changement culturel profond en décloisonnant et en faisant évoluer les pratiques managériales.

Plusieurs forces sont à l’œuvre et convergent pour justifier une réflexion profonde quant à la refonte des espaces de travail :

  • L’optimisation économique : l’objectif de rationalisation de l’occupation des locaux est une préoccupation actuelle majeure des nouvelles politiques immobilières de l’Etat. À titre d’exemple au Royaume-Uni, en 2004, le programme « High performing property », basé sur le rapport « Working Without Walls », préconisant un changement radical de l’organisation du travail au sein du civil service, a permis d’atteindre 1,7 milliards d’euros d’économie.
  • Le défi écologique : selon une expérimentation du schéma directeur régional immobilier en Occitanie sur l’impact du télétravail sur l’organisation immobilière de l’Etat, il a été démontré que le bureau traditionnel avait un taux d’occupation moyen de moins de 45%. Une réduction de la superficie moyenne des bureaux par agent influerait de facto sur les émissions de carbone émises par les bureaux traditionnels. De même, le désencombrement des routes lié à la réduction des trajets, notamment dans les grandes villes, joue en faveur de modes d’organisation du travail mêlant présentiel et distanciel
  • Les nouveaux modes de travail : les agents se mettent à la recherche d’un degré accru de flexibilité et de maîtrise de leur emploi du temps. La recherche de flexibilité, de plus d’équilibre vie pro-vie perso et la notion de bien-être au travail sont autant de facteurs aujourd’hui incitant à jouer sur plusieurs leviers que sont les pratiques de management et les espaces de travail.
  • La promesse d’une meilleure marque employeur : les administrations doivent profiter du regain d’intérêt des populations les plus jeunes, pour le service public pendant la crise. Elles doivent pour cela mettre en avant, au-delà de la satisfaction de l’intérêt général, des pratiques innovantes en matière d’organisation du travail.

Au-delà des forces évoquées, les enjeux actuels liés à la sécurité sanitaire apparaissent comme l’argument d’autorité poussant les administrations et les entreprises à repenser leurs espaces de travail, à redéfinir une expérience, un parcours collaborateur empreint des impératifs de distanciation sociale. Nous sommes persuadés que ce contexte difficile peut et doit être l’occasion de se diriger vers un nouveau paradigme des modes de travail, notamment à travers le démantèlement progressif des unités de lieu et de temps du travail.

 

L’unité de lieu mise à mal avec les nouvelles formes d’organisation du travail

Nous l’avons dit, au-delà des préoccupations sanitaires, l’environnement de travail doit s’adapter à de nouveaux modes de fonctionnement liés au travail à distance étendu. C’est aujourd’hui l’une des principales aspirations des administrations et du législateur qui cherchent à pérenniser et sécuriser le dispositif de télétravail [2]. Le mode de travail « hybride » entre domicile ou tiers lieux et administration – ainsi que l’ensemble des administrations le vivent aujourd’hui à la faveur de la crise sanitaire et des mesures de travail à distance provisoires – va s’installer durablement comme une réalité.

De fait, la notion d’espace de travail se confond avec les temps de la vie quotidienne. Asynchrones, les nouveaux modes de travail imposent de dépasser la simple idée d’un bureau attribué et fixe du lundi au vendredi.

Si le confinement et la période transitoire actuelle ont poussé les administrations et les agents à adapter leurs modes de travail et adopter de nouveaux outils et usages digitaux pour pallier le défaut de proximité physique, il est néanmoins certain que le mode distanciel a révélé certains besoins auxquels le digital ne pourra certainement pas répondre ni durablement ni totalement. Pour cela, penser les usages de travail et donner un nouveau sens au « bureau » est donc une nécessité pour répondre à une question centrale : que pouvons-nous attendre de notre espace de bureau que le travail à distance et le digital ne pourront procurer ? Et pourquoi nous rendrons-nous au bureau demain ?

Ainsi le nouveau « sens du bureau » doit s’imprégner de ces besoins, et répondre aux usages qui rassembleront « positivement » les collaborateurs sur le lieu de travail.

 

Le bureau demain : oui mais pourquoi ?

Depuis le confinement, la collaboration et le digital font désormais meilleur ménage, c’est une certitude. La plupart des administrations ont ainsi eu recours à des outils collaboratifs digitaux créés sur mesure [3] (Tchap, Osmose, etc.) et d’autres déjà bien connus (Zoom, Teams, etc.)

Pour autant les études mettent en évidence que ce qui compte davantage pour l’agent n’est pas tant l’espace commun mais la proximité continue, facile et techniquement sans couture avec l’équipe, avec sa « communauté professionnelle ». C’est là que le bureau se positionne encore et challenge le télétravail. L’agent a besoin de ses pairs et cela passe par une expérience collective qui sera plus forte « émotionnellement » si elle peut rester en présentiel.

Ceci postule pour une révision en profondeur des modes de fonctionnement et l’organisation collective et individuelle du travail. Une réflexion s’engage aujourd’hui dans certaines administrations pour qualifier les usages de travail et organiser la vie des équipes autour du mode travail hybride et de deux axes somme toute simples :

  • Réserver les usages de « productivité individuelle » nécessitant concentration et des interactions plutôt limitées avec les autres agents aux jours de travail à distance
  • Identifier les usages nécessitant d’être ensemble, tels que les brainstormings, les retours d’expérience, les temps d’intelligence collective, de co-construction et d’innovation, d’informel… et les organiser en présentiel.

En ce sens, la région Occitanie a transformé la notion de bureau en un « hub de rencontres et d’échanges intensifs » avec le domicile ainsi que des espaces dédiés privés pour se concentrer et éviter les déplacements.

Ainsi, le bureau qui était perçu comme une valeur « refuge » et un incontournable, devra muter en une place « repère » pour la communauté professionnelle, notamment pour préserver ce lien social qui constitue un des moteurs de l’engagement et de la rétention des talents. Ainsi 88% [4] des employeurs redoutent une nuisance au sentiment d’appartenance et à l’engagement avec un travail à distance étendu.

 

Une question de méthode avant tout

Sur ce point, l’enjeu réside dans la méthode. En effet cette analyse doit être réalisée en co-construction avec l’équipe, impulsée par le management, pour atterrir collectivement sur de nouveaux modes de fonctionnement et de nouvelles règles qui redonneront du sens au « être ensemble ». Sanctuariser a minima une journée présentielle ou l’ensemble de l’équipe est réunie, pour des activités collectives identifiées et donc motivantes, constitue un premier pilier de ces nouvelles modalités du travail collectif. Et il conviendra à chaque équipe d’inventer leurs modes de fonctionnement de demain, qui donneront aux espaces de travail physiques et au bureau son nouveau sens.

Conclusion

Les espaces de travail vont devoir évoluer pour devenir un symbole et un repère attractif, et non plus le lieu de travail nécessaire à la réalisation des activités professionnelles, individuelles et collectives. Mais ils devront également répondre à un autre enjeu éminemment économique. En effet, il est fort probable que pour beaucoup d’administrations, les espaces redeviennent une option d’organisation et la durée de présence dans un immeuble devra répondre au plus près des priorités, et s’exonérer plus librement des baux classiques. Le futur des espaces de travail sera vraisemblablement soumis à une résilience exigée, pour s’adapter aux enjeux stratégiques, organisationnels et métiers dans les temps à venir.

[1] https://www.wavestone.com/fr/insight/humain-au-coeur-de-la-transformation-rh-secteur-public/  

[2] http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3376_proposition-loi

[3] https://labo.societenumerique.gouv.fr/2020/04/01/quatre-outils-pour-faciliter-la-collaboration-a-distance-des-agents-publics/

[4] https://www.andrh.fr/actualites/1093/le-teletravail-post-covid-vu-par-les-drh-resultats-enquete-andrh-bcg

Anthony GUINOT, senior consultant
Sibylle DE LABOULAYE, manager

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