Quelles applications de la blockchain pour les Ressources Humaines ?

La technologie blockchain, en vogue depuis une dizaine d’années, ne manque plus de faire parler d’elle. Connue grâce à l’essor du bitcoin et des cryptomonnaies, elle est utilisée aujourd’hui dans de nombreux secteurs comme la logistique, la santé ou le luxe. Et si elle était également l’avenir des Ressources Humaines ?  

La blockchain, késako ?  

Définie par le mathématicien Jean-Paul Delahaye comme « un très grand cahier, que tout le monde peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et indestructible », la blockchain est l’équivalent d’une base de données qui contiendrait l’intégralité de l’historique des transactions effectuées depuis sa création. Elle se caractérise par plusieurs éléments :

Pour résumer, la blockchain permet de stocker et d’échanger de la valeur sans intermédiaire centralisé, de manière irréversible, transparente et sécurisée. Cette technologie est utilisée dans différents secteurs. Si le cas d’usage le plus connu aujourd’hui est la cryptomonnaie (bitcoin, ethereum, etc.), la blockchain est également très prisée en logistique à des fins de traçabilité. Par exemple, depuis 2018, Carrefour l’utilise pour garantir la provenance de denrées alimentaires de ses Filières Qualité.  

Qu’en est-il des Ressources Humaines (RH) ? Si de prime abord le lien entre RH et blockchain ne semble pas évident, il existe toutefois des cas d’usages concrets dans tout le cycle de vie du collaborateur, de son recrutement à sa gestion administrative.  

La blockchain dans le monde RH : cas d’usage  

Le recrutement permet un premier cas d’usage de la blockchain, via la certification des diplômes et des compétences. Jusqu’alors, il n’existait pas de moyens de certifier les compétences et les diplômes : tout un chacun peut se proclamer « expert excel » sur LinkedIn ou diplômé d’une école prestigieuse.  

La solution BCDiploma, de la start-up française EvidenZ, pionnière en certification digitale, s’attaque à cette problématique de falsification. Elle propose une solution B2B pour les universités et autres institutions telles que le ministère de l’enseignement supérieur, d’attestations infalsifiables, 100% numérique, et reposant sur la blockchain.  

Schéma de la certification de diplôme via la blockchain
Exemple de la certification de diplôme via la blockchain appliquée à un étudiant

La start-up française Prosoon quant à elle, a pour projet d’aller un peu plus loin, en garantissant non seulement l’authenticité d’un diplôme, mais également les compétences et le parcours professionnel. Prosoon souhaite se positionner auprès des cabinets de recrutement en leur proposant une base de données de candidats aux profils variés, dont les données personnelles (âge, sexe, nationalité) sont protégées sous forme d’une identité numérique. L’identité du candidat ne sera divulguée qu’au moment où le cabinet souhaite le rencontrer. 

Les bénéfices de ces solutions sont pluriels, tant pour le recruteur que pour le candidat. D’une part, le candidat détient le contrôle de ses données personnelles et décide du moment où il souhaite divulguer ses informations. D’autre part, le recruteur a accès à des informations fiables et infalsifiables. Enfin, l’identité divulguée au dernier moment permet d’éviter les comportements discriminants conscients ou inconscients des recruteurs.  

Ainsi, dans un marché du travail où les fraudes aux diplômes sont nombreuses et dans lequel les compétences ne sont pas aussi valorisées que le statut et l’école, la solution blockchain s’avère prometteuse. Elle permet d’une part l’authentification de diplôme et/ou de compétences et d’autre part la traçabilité du parcours. Néanmoins, il convient de se questionner sur le droit à l’oubli : si toutes les informations (expériences passées, bonnes et/ou mauvaises références, etc.) une fois stockées sur la blockchain, sont infalsifiables et accessibles, qu’en est-il du droit à l’erreur ? De plus, concernant l’exploitation des données personnelles, la question de la compatibilité entre blockchain et réglementation RGPD peut légitimement se poser. Si aux prémices de la blockchain, cette question était laissée pour compte, aujourd’hui la majorité des solutions blockchain en France, à l’instar de BCDiploma ont évolué et intègrent la norme RGPD.  

Le second cas d’usage que nous pourrions citer concerne la gestion RH de la vie du collaborateur. 

Tout d’abord, les smart contracts (contrat intelligent) proposent des alternatives innovantes pour les RH. Le smart contract est un « code informatique qui permet d’exécuter automatiquement des conditions définies au préalables et inscrites dans la blockchain » (définition de Blockchain France), suivant le modèle “If This Then That”. Contrairement à un contrat classique, les termes ne peuvent être modifiés. De nombreuses entreprises telles que la start-up serbe Tenderly proposent déjà cette solution de smart contract, qui présente de multiples avantages pour les RH. L’automatisation des tâches permet de réduire les activités chronophages, les erreurs d’exécution ainsi que de diminuer les coûts. Mais surtout, l’utilisateur a la certitude que les données du contrat sont celles qu’il a signées, ce qui assainit les relations contractuelles entre employé et employeur. Enfin, l’historique de la blockchain permet de faciliter le suivi et donc l’accompagnement du collaborateur.  

Un premier exemple concret concerne les objectifs annuels. Les objectifs annuels (qui seraient, dans l’exemple, les conditions du smart contract) sont définis en amont. Chaque fois qu’un objectif est validé (if this), un versement automatique d’une prime se fait sur le salaire du collaborateur (then that).  

Un autre cas d’usage pourrait être la signature électronique. Aujourd’hui, lorsqu’une signature électronique est faite, comment savoir exactement à quoi cela sert, où cela va, et quelle en est la valeur ? Lorsque l’on sait qu’un document signé électroniquement n’a de valeur juridique que s’il est possible de prouver son authenticité, on imagine bien le bénéfice que représente la blockchain. Les conditions étant scellées et non modifiables, les avantages sont doubles : effet de confiance grâce à la sécurité certifiée de la blockchain ainsi que possibilité de tracer l’historique de documents. A cela s’ajoute le gain de temps considérable pour les vérifications des contrats. La start-up française Woolet propose cette solution de signature électronique reposant sur la blockchain. 

Enfin, la blockchain permet des cas d’usage intéressants en termes de rémunération et de fidélisation des collaborateurs. Par exemple, une partie de la rémunération pourrait être faite en cryptomonnaie. Il serait également possible d’aller plus loin en imaginant une récompense à l’investissement de chacun. Un token (une cryptomonnaie qui n’a pas sa propre blockchain) pourrait être créé dans l’entreprise et distribué à ceux qui s’investissent en interne.

 

La blockchain, mais pas que ?

Si la blockchain a la capacité de révolutionner des pans entiers de l’économie, il convient de nuancer : la blockchain n’est pas la réponse à tout. Il faut s’interroger sur la valeur ajoutée de celle-ci sur des cas d’usage précis. Par exemple, afin de stocker ses documents administratifs, un coffre-fort dématérialisé sur la blockchain présente-il une véritable valeur ajoutée par rapport à un simple coffre-fort dématérialisé ?

La blockchain a parfois besoin de s’interfacer avec d’autres technologies émergentes pour dégager tout son potentiel : c’est cette combinaison qui permettra une vraie révolution. Imaginons par exemple coupler la blockchain à un chat-bot : en quelques secondes, il serait possible de retrouver ses documents administratifs, mais surtout d’avoir la certitude que ce sont les bons. En effet, un avantage évident du coffre-fort sur la blockchain par rapport à un coffre classique est le côté immuable qu’il offre : les informations sont sécurisées, tracées, infalsifiables.

De la même façon, un processus de recrutement reposant dans son intégralité sur la blockchain et sur d’autres technologies comme le machine learning (apprentissage artificiel) aurait une vraie valeur ajoutée. Le machine learning permettrait un screening basé non seulement sur les diplômes mais également sur les compétences, dont l’authenticité serait certifiée grâce à la blockchain, comme vu précédemment. Il serait également possible d’authentifier les références. Le processus de recrutement sur la blockchain est sécurisé, protège l’identité du candidat jusqu’au dernier moment et fait gagner un temps précieux aux recruteurs.

Enfin, un cran plus loin, se dessine l’horizon de l’internet de demain : le métaverse. Le métaverse, que nous pourrions résumer en “le monde réel dans le monde virtuel” repose sur différentes technologies telles que la 3D/réalité virtuelle, l’intelligence artificielle et, ce qui nous intéresse, la blockchain. A défaut de rester passif dernière un ordinateur, il s’agit de pénétrer l’écran grâce à un avatar dans le monde virtuel. Les transactions s’y font en cryptomonnaies. Des entreprises telles que Nike l’expérimentent déjà : avec un casque de réalité augmentée, il est possible de se promener, d’essayer puis d’acheter une paire de baskets (pour son avatar, ou pour soi-même dans la réalité). Si l’on peut aujourd’hui acheter une paire de chaussures dans le métaverse, demain, nous pourrions signer nos contrats de travail face à face, passer des entretiens de recrutement ou participer à des forums écoles. Serait-ce la fin des liens teams et des forums de recrutement en ligne ?

 

Le mot de la fin ?

La technologie blockchain n’échappe pas aux débats que l’on entend habituellement au sujet des nouvelles technologies, comme l’enjeu de suppression d’emplois. De fait, il s’agit de voir cette technologie non pas comme une fatalité supprimant un grand nombre d’emplois ou au contraire un miracle qui en crée des milliers, mais plutôt un changement de paradigme menant les RH vers un terrain plus humain et/ou plus technologique. D’une part, grâce à une réduction du temps passé sur les tâches à faible valeur ajoutée, les RH pourraient se concentrer sur leur rôle premier de proximité et de gestion humaine, et non d’agent administratif. D’autre part, de nouveaux emplois seraient créés dans les entreprises comme des « Chefs de projet blockchain RH », ou des « Experts blockchain » en plus des experts SIRH.

L’adoption de la blockchain est en cours. Elle reste une technologie récente, apparue en 2008 et bien que l’idée d’un système décentralisé ait émergé dès les années 90, les organisations nécessitent un certain degré de maturité pour accueillir cette technologie. Par ailleurs, le mécanisme technologique derrière la blockchain est complexe à comprendre. Elle sera totalement démocratisée lorsqu’elle sera utilisée sans que les usagers se posent des questions sur son fonctionnement – en effet, qui comprend réellement comment fonctionne le cloud ou une machine à laver ?

Pour conclure, les caractéristiques de la blockchain comme la transparence accrue, la sécurité des données, et l’automatisation des tâches sont particulièrement intéressantes pour la fonction RH, et les gains de temps, d’argent et de productivité qu’ils permettent ne sont pas négligeables. Si la blockchain en est encore à ses prémices en RH, pour certains cas d’usages précis son avenir semble particulièrement prometteur.

Un grand merci à Karen Jouve pour son aide dans l’écriture de l’article.  

Alicia Bois, Consultante
Maja Tasic, Consultante

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