Concilier utilité sociale et viabilité économique, véritable enjeu pour les entreprises de l’ESS

Les entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) sont des organisations économiques poursuivant un objectif d’utilité sociale. Associations, coopératives, mutuelles ou encore fondations : leurs formes juridiques varient, tout comme leurs modèles économiques. Si certaines structures de l’ESS s’appuient en grande partie sur les aides d’Etat ou sur des financements publics ou européens, d’autres développent des modèles économiques solides et pérennes.

Cependant, poursuivre un objectif d’utilité sociale tout en s’appuyant sur un modèle économique viable peut représenter un défi pour ces organisations.

Atteindre la viabilité économique, quels enjeux pour les entreprises de l’ESS ?

Les entreprises de l’ESS, à l’inverse d’autres organisations de cette économie telles que les associations et fondations par exemple, développent des modèles économiques marchands ou partiellement marchands en vue non pas de maximiser les profits réalisés mais de placer la rentabilité financière au service du projet social développé. Au regard de ces objectifs, ces structures sont confrontées à de nombreux enjeux, notamment :

  • Ces entreprises placent au cœur de leur action un principe de juste rémunération et apport de valeur à l’ensemble des acteurs (employés, fournisseurs, consommateurs et clients, etc.) impliqués au sein de leur chaîne de valeur. Ce principe doit ainsi être intégré au sein de leur processus de rémunération et tarification, d’autant plus que les publics ciblés par leurs produits et services peuvent être des publics précaires ou fragilisés ;
  • Un certain nombre de ces entreprises (notamment celles œuvrant dans le domaine de l’insertion par l’activité économique) embauchent des publics éloignés de l’emploi. Ces derniers nécessitent un temps de montée en compétence plus ou moins long et requièrent un investissement humain et financier supplémentaire qu’il convient d’intégrer au sein du modèle économique proposé ;
  • Intervenant parfois sur des marchés investis par des entreprises « traditionnelles » davantage tournées vers la maximisation des profits et disposant d’avantages concurrentiels non négligeables (budgets publicitaires plus importants, meilleure capacité de distribution, etc.), les entreprises sociales doivent trouver des moyens pour se différencier et se faire connaître ;
  • Enfin, les entreprises de l’ESS sont tenues, au regard notamment des contraintes susmentionnées, de démontrer leur capacité à gérer leurs activités de manière efficace et efficiente pour obtenir et conserver la confiance de leurs parties prenantes (bénéficiaires, partenaires, financeurs et investisseurs, etc.).

Afin de surmonter ces défis, les entreprises de l’ESS disposent de plusieurs leviers d’action, dont :

  • Développer des approches commerciales créatives et innovantes ;
  • Bâtir des méthodologies de mesure de leur impact social afin de convaincre les investisseurs et les clients de la valeur de leur activité ;
  • Travailler en collaboration avec d’autres entreprises de l’ESS et des partenaires locaux en vue de maximiser leur impact collectif et leur capacité à répondre aux besoins sociaux et environnementaux identifiés ;
  • Impliquer leurs principales parties prenantes dans la construction de leur modèle économique.

Plusieurs de ces leviers ont été activés avec succès par une entreprise de l’ESS née dans le département de l’Ain : la coopérative « C’est qui le patron ?! », parvenue en quelques années à construire un modèle économique solide et performant.

Zoom sur un exemple concret : la coopérative laitière « C’est qui le patron ?! »

L’initiative « C’est qui le patron ?! » est née en 2016 de la volonté de répondre à un besoin social précis : apporter une réponse concrète à la crise sociale impactant alors plus de 13 000 producteurs laitiers français. Créée par Nicolas Chabanne et Laurent Pasquier, cette société coopérative est fondée sur une conviction simple : si chaque consommateur acceptait de payer sa brique de lait quelques centimes de plus, des centaines de familles de producteurs pourraient sortir de la crise.

Afin de construire un modèle économique cohérent, la coopérative s’est notamment attachée à impliquer dans la consolidation de ce modèle l’une de ses principales parties prenantes : ses sociétaires-consommateurs. Ces derniers sont en effet directement impliqués dans la création des produits de l’entreprise. Ils participent à chaque étape du processus de fabrication, depuis la sélection des matières premières jusqu’à la fixation des prix de vente. Les consommateurs sont ainsi invités à répondre à des questionnaires en ligne pour indiquer leur préférence en termes de goût, de composition, de packaging et de prix. Cette implication directe de ces acteurs, au-delà d’assurer une adéquation entre offre et demande, a permis de créer un sentiment d’appartenance et d’engagement envers la coopérative et ses produits. Le prix de la brique de lait « C’est qui le Patron ?! » s’élève ainsi à 99 centimes en 2021, contre 69 centimes pour une brique classique, permettant ainsi de rémunérer plus dignement les producteurs.

Extrait du site internet « C’est qui le patron ?! »
Extrait du site internet « C’est qui le patron ?! » : https://cestquilepatron.com/la-demarche/

Par ailleurs, pour assurer sa visibilité et ainsi renforcer ses débouchés commerciaux tout en limitant les investissements associés, la coopérative s’est appuyée sur le bouche-à-oreille et les médias sociaux, dans l’optique de toucher un large public sans investir massivement dans la publicité.

Enfin, « C’est qui le patron ?! » a su faire évoluer son modèle rapidement pour assurer sa pérennité dans le temps et réduire les risques de dépendance. La coopérative propose désormais une gamme diversifiée de produits (30 produits alimentaires à ce jour), allant bien au-delà des seuls produits laitiers proposés originellement.

La coopérative « C’est qui le patron ?! » représente ainsi un exemple inspirant d’entreprise sociale et solidaire étant parvenue à conjuguer utilité sociale (en impliquant les consommateurs, soutenant les producteurs tout en offrant des produits de qualité et en sensibilisant le public aux impacts de leurs choix de consommation) et modèle économique solide, en s’appuyant sur des leviers adaptés à l’activité développée et au modèle de gouvernance coopératif mis en œuvre (engagement des consommateurs, bouche-à-oreille et diversification de la gamme de produits notamment).

Pour aller plus loin :

Sources : 

Photo Camille Menuet
Camille Menuet, Consultante
Photo Bérénice Bourgeois
Bérénice Bourgeois, Consultante
Albane Demaret, Consultante

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