Que change le distanciel pour l’évaluation des collaborateurs ?

Dans une conjoncture où la pratique du management à distance se généralise et tend à s’inscrire dans la durée, se pose la question des processus et cycles annuels, et notamment l’évaluation de la performance du collaborateur : Peut-on évaluer à distance ?

Plusieurs principes régissent le processus d’évaluation de la performance et aucun de ces principes ne devrait être remis en cause par une instruction à distance :

  • Réaliser l’évaluation de la performance du collaborateur nécessite d’appréhender le développement du collaborateur vis-à-vis d’objectifs individuels mais aussi collectifs.
  • Il n’y a pas d’évaluation cohérente sans la fixation d’objectifs, quantitatifs et qualitatifs, de façon à pouvoir réaliser des comparaisons entre les performances individuelles avec une certaine équité entre les collaborateurs.
  • L’évaluation suppose un regard croisé sur le collaborateur : sa performance peut être appréciée par des managers évaluateurs qui sont rattachés à des services différents.
  • L’évaluation suppose que le collaborateur identifie de lui-même ses réalisations et ses marges de progrès. L’évaluation n’est pas sanction, il doit y avoir échange et dialogue.
  • Intégrer dans l’évaluation une participation à la vie du collectif est nécessaire, d’autant plus en période de télétravail généralisé.

L’évaluation de la performance du collaborateur est une séquence managériale délicate, en distanciel encore plus qu’en présentiel.

Un premier enjeu est que le distanciel ne doit pas laisser la perception au collaborateur que son évaluation a souffert de sa réalisation matérielle à distance.

Le manager doit adopter une posture et un style de communication visant à recréer la proximité dans le dialogue, quand bien même celui-ci s’effectue à distance.

Les éléments qui ressortiront d’un entretien à distance seront consignés comme ceux d’un entretien en présentiel. Les modalités de diffusion et de partage avec l’écosystème RH et managérial, de ce qui aura été dit au cours de l’entretien, seront similaires à ce qui aurait été fait en présentiel.

La modalité distancielle (« ne pas être ou être très peu au bureau ») ne doit donc pas avoir d’incidence matérielle sur le déroulement du dialogue entre un évaluateur et un évalué.

Le facteur distanciel est vraisemblablement plus challengeant (mais loin d’être impossible à gérer) quand le processus d’évaluation inclut parfois une séquence collective avec plusieurs évaluateurs simultanément.

Un deuxième enjeu est que le distanciel ne doit pas laisser la perception au collaborateur d’une certaine inégalité de traitement dans la conduite et dans les résultats des évaluations des uns et des autres.

En effet, le distanciel peut parfois favoriser la perception de non équité, de manque de transparence dans les arbitrages et promotions … une perception qui revient toujours très vite et risque d’être exacerbée si en parallèle les modalités d’organisation de la mesure de la performance individuelle ne sont pas suffisamment ou régulièrement communiquées quand les acteurs sont à distance.

La difficulté avec le distanciel est qu’il peut accentuer d’autant plus facilement la perception d’isolement au quotidien et d’être « sorti du jeu ».  

Une organisation moderne a besoin de démontrer de la transparence quand elle prend des décisions qui ont un lien avec la performance individuelle. Il faut donc qu’elle soit irréprochable et juste dans sa manière de communiquer sur un sujet sensible comme celui de la performance.

Il n’y a pas de raison qu’une évaluation du collaborateur à distance plutôt qu’en présentiel engendre davantage d’opacité dans le traitement individuel d’un collaborateur. Cependant il faut garder à l’esprit que le distanciel peut isoler ou éloigner d’une certaine façon. Par conséquent il faut rester vigilant à ce que des séquences sensibles comme celle de l’évaluation de la performance soient menées avec le maximum d’attention dans sa forme.

L’évaluation à distance, surtout si elle doit véhiculer des messages sensibles, comporte le risque de ne pas prendre suffisamment en compte l’état moral et l’environnement matériel du télétravailleur, par nature moins perceptibles que lors d’une évaluation en présentiel et dans quelle mesure le télétravailleur est disposé à entendre à distance les messages qui lui sont adressés.

Un principe de communication est que l’émetteur (le manager en l’occurrence) peut s’évertuer à maitriser le discours mais c’est surtout son interprétation par le destinataire qui compte.

Le distanciel suppose d’être encore plus prudent de façon générale avec les termes employés et les idées transmises. Dans le cadre de l’évaluation à distance, l’évaluateur s’invite quelque part chez le télétravailleur. Il doit chercher au préalable au dialogue à collecter des indices sur l’environnement spatial et sur l’état d’esprit dans lequel se trouve l’évalué au moment de son évaluation.

Cette précaution est d’autant plus importante dans le cas où les messages à transmettre sont sensibles. L’évaluateur ne dispose pas en distanciel d’autant de visibilité sur le non-verbal, le langage corporel et sur l’imperceptible de la situation immédiate que lorsque l’évaluateur est en tête à tête avec l’évalué.

Le présentiel reste pour beaucoup d’entreprises la modalité à privilégier pour effectuer l’entretien individuel de performance mais les mentalités et les pratiques évoluent.

Les entreprises déclarent parvenir bon gré mal gré à honorer même à distance les cycles et processus RH courants qui ponctuent l’année professionnelle de chaque salarié : la fixation d’objectifs, l’évaluation annuelle, le recueil de besoins de formation, le feedback, etc.

Autrement dit, concernant la réalisation des actes RH annuels, on ne perçoit pas nécessairement de difficulté matérielle liée au distanciel. La crise sanitaire nécessite un sens de l’adaptation certes, mais n’a pas mis à terre les pratiques les plus essentielles à maintenir en présentiel.

Convenir que l’entretien annuel peut être réalisé à distance relève aussi de la culture d’entreprise voire de la culture tout court. Dans une culture anglosaxonne, sans chercher les stéréotypes, il y a un rapport entre les individus qui est certainement plus « transactionnel » et évaluer à distance pose certainement moins de gêne que dans une culture d’entreprise qui construirait sa vision sur la bienveillance et d’autres valeurs humaines, qui rend l’exercice de l’évaluation distancielle d’autant plus délicat.   

 

 

Marc GODARD, manager
Marc GODARD, manager

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